MODERNISATION DU DROIT DES DESSINS ET MODELES DANS L’UNION EUROPEENE Le « paquet dessins et modèles »

17 avril 2024

Le 14 mars 2024, le Parlement européen a adopté le « paquet dessins et modèles » issu de la proposition en date du 28 novembre 2022 par la Commission Européenne qui propose de réviser le système de protection des dessins et modèles de l’Union européenne établi il y a plus de 20 ans. Cette réforme très attendue a pour ambition de moderniser, clarifier et renforcer la protection des dessins et modèles. Avec l’adoption de ces règles révisées, la Commission souhaite également rendre la protection des dessins et modèles moins coûteuse, plus rapide et plus prévisible au sein de l’Union européenne.

A cette fin, le « paquet dessins et modèles » annoncé par la Commission est composé :

  • d’une proposition de règlement, révisant le règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, et instituant le futur « dessin ou modèle de l’Union européenne » à caractère unitaire
  • d’une proposition de directive, révisant la directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles, renforçant l’harmonisation des législations nationales des Etats membres

Le 5 décembre 2023, un accord politique provisoire avait été conclu entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE afin de s’entendre sur les points clés de la réforme.

Les points clés de la réforme

  • Adaptation à la transition numérique : il est proposé de mettre à jour et de clarifier les règles applicables aux dessins et modèles au regard des nouveaux usages numériques :
    • Définition : l’article 2 de la directive complète la définition des dessins et modèles qui pourront s’appliquer à l’apparence de produits, ou parties de produits, aussi bien physiques que «numériques» que lui confèrent aux delà des caractéristiques traditionnelles «le
      mouvement, les transitions ou tout autre type d’animation
      »
    • Portée: l’article 16 de la directive prévoit que le titulaire de droit pourra interdire aux tiers « la création, le téléchargement, la copie et le partage ou la distribution à autrui de tout support ou logiciel enregistrant le dessin ou modèle »,
    • Dépôt : l’article 26 de la directive permet également de reproduire les dessins et modèles lors du dépôt « à l’aide des technologies […] y compris par croquis, photographie, vidéo ou imagerie/modélisation informatique ».
  • Mise à jour des règles d’enregistrement: la proposition de la Commission s’attache à simplifier et rationaliser la procédure d’enregistrement à l’échelle de l’Union européenne :
    • Demande groupée : l’article 27 de la directive consacre la possibilité de grouper les dessins et modèles en une seule demande d’enregistrement multiple, y compris lorsque ceux-ci concernent des produits qui ne relèvent pas de la même classe,
    • Taxe unique : l’annexe I du règlement propose d’adopter une taxe unique de dépôt, fusionnant la taxe d’enregistrement et de publication,
    • Délai de publication : l’article 30 de la directive prévoit la possibilité d’ajourner la publication d’un dessin et modèle enregistré pendant un délai de trente mois maximum,
    • Protection nationale : l’article 3 de la directive vise à supprimer la possibilité pour les
      Etats membres de protéger les dessins et modèles sans enregistrement
      au niveau seulement national,
    • Information du public : l’article 24 de la directive propose d’instaurer la possibilité de faire figurer sur le produit la lettre ‘D1 (design) afin d’informer le public de l’enregistrement,
    • Elargissement des motifs de refus : l’article 13 de la directive introduit un motif de refus fondé sur la protection des éléments visés à l’article 6 ter de la Convention de Paris (armoiries, drapeaux, emblèmes d’états, etc.) et autorise les Etats membres à élargir les motifs de refus fondé sur la protection de signes « présentant un intérêt public particulier pour l’État membre concerné» ou reproduisant totalement ou partiellement des « éléments appartenant au patrimoine culturel qui présentent un intérêt national ».
  • Consécration de la jurisprudence de la CJUE : les propositions de la Commission consacrent également plusieurs apports de la jurisprudence européenne, notamment :
    • Rapports avec le droit d’auteur : l’article 23 du projet de directive consacre les principes de la jurisprudence Cofemel1 fixant les conditions d’un cumul avec la protection des œuvres au titre du droit d’auteur,
    • Limite des droits conférés par l’enregistrement : l’article 18 du projet de directive autorise les actes de reproduction accomplis à des fins d’illustration2 ou d’enseignement ainsi que de commentaire, de critique ou de parodie,
    • Fonction technique : si le dispositif prévu par les textes sur ce point central de la matière reste inchangé, le considérant 19 de la directive précise que sont exclus de la protection les « dessins ou modèles consistant exclusivement en des caractéristiques ou en la disposition de caractéristiques imposée(s) exclusivement par une fonction technique » et apporte une précision d’ordre méthodologique,
  1. CJUE, 12 sept. 2019, aff. C-683/17, Cofemel. ↩︎
  2. Notion précisée dans CJUE 27 sept. 2017, aff. C-24/16 et C-25/16, Nintendo. ↩︎
  • Compatibilité des règles européennes et nationales: ce nouveau cadre vise également à assurer une plus grande complémentarité entre les règles européennes et nationales relatives au dessins et modèles :
    • Utilisation antérieure : l’article 21 de la directive étend le moyen de défense fondé sur l’utilisation antérieure aux dessins et modèles nationaux,
    • « Clause de réparation » : l’article 19 de la directive exclut les pièces de rechange de la protection des dessins et modèles : est ici visée la « pièce d’un produit complexe dont l’apparence conditionne le dessin ou modèle de ladite pièce et qui est utilisée ( ) dans le seul but de permettre la réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale »,
    • Présomption de propriété : l’article 11 de la directive prévoit que les dessins et modèles sont présumés appartenir à leur créateur, cette propriété pouvant être «conjointe » en cas de réalisation conjointe par plusieurs personnes; et réservant la propriété de l’employeur en cas de création salariée, « sauf convention contraire entre les parties concernées ou sauf disposition contraire de la législation nationale ».
  • Alignement avec le « paquet marque » : certaines dispositions de la proposition «paquet dessins et modèles » s’inspirent directement de la précédente réforme du « paquet marque »*3 :
    • Procédure de nullité : l’article 31 de la directive autorise les Etats membres à prévoir une procédure administrative permettant d’obtenir l’annulation d’un dessin ou modèle (sans pour autant rendre ce dispositif obligatoire),
    • Lutte anti-contrefaçon : l’article 16 de la directive prévoit la possibilité de s’opposer au transit de marchandises. A l’image de la solution prévue par le paquet marque, ce droit s’éteindra si le détenteur des marchandises peut, suivant une inversion de la charge de la preuve, démontrer la licéité de la commercialisation du produit dans l’état de destination.

Prochaines étapes

Les propositions de directive et de règlement de la Commission, d’ores et déjà adoptés par le Parlement européen doivent désormais être discutées et votées au sein du Conseil de l’Union Européenne en vue de leur adoption selon la procédure législative ordinaire.

Une fois le nouveau « paquet dessins et modèles » adopté, les Etats membres auront 2 ans pour transposer la directive. S’agissant du règlement, certaines dispositions seront applicables dans les 3 mois suivant son entrée en vigueur, tandis que d’autres dispositions nécessiteront l’adoption préalable d’actes délégués et d’exécutions par la Commission.

Ecrit par : Laure Meysonnet, Fiona Arnouts, Raphaël Gentilleau, Julien Canlorbe